lundi 18 mai 2015

Sur le derby au sens large...

A quoi rime l’engouement de nos contemporains marocains et casablancais, en particulier, au derby  du Raja et du Wydad ?  C’est la question que je me pose souvent après chaque rencontre des deux géants casablancais.  Le produit footballistique n’est pas toujours au rendez-vous ; et ne répond guère à l’image d’un championnat professionnel clamé haut et fort par les responsables fédératifs et les gestionnaires du football national. Les clubs ont presque le même niveau qui demeure très moyen dans sa globalité. Seuls les ultras accoutumés à nous rapporter des pratiques festives donnent une image esthétique de ce que c’est qu’être supporter. Ils volent la vedette aux joueurs eux-mêmes. Les supporters se donnent à fond dans le spectacle. Ils suent sang et sueur pour se poser en s’opposant à leurs antagonistes du jour. Quelques semaines avant la rencontre tant attendue du derby, les supporters investissent leur temps et leur argent pour réussir les chorégraphies et les animations visuelles.  Qu’il pleuve ou qu’il vente, ils sont là brandissant le mauvais temps et les mauvaises prestations de leurs équipes. Cela laisse dire que le match en lui-même n’est pas très important. Les résultats importent moins. Le spectacle sportif  offre aux supporters l’opportunité de s’exprimer.

 Et de sortir de l’anonymat et d’être quelqu’un. Ils ont cette soif et cette rage de paraître, précise Alain Ehrenberg. Ils déplacent le pôle de visibilité de la pelouse vers les tribunes. Ils font leur propre spectacle. Nous sommes loin d’imaginer à quel point représente pour eux un match de foot. En un raccourci de 120 minutes toute la gamme des émotions, que l’on peut ressentir dans le temps long et distendu d'une vie, se défile : la joie, la souffrance, la haine, l’angoisse, l’admiration, le sentiment d’injustice. Ce qui est le marquant. C'est le passage d'un ressenti à un autre selon le déroulement de la partie. Ce dernier derby en est la parfaite illustration. Sur la pelouse le jeu mitigé n’a pas altéré l’ambiance des gradins. Pour la simple raison, le miroir affectif opposé d’autrui porté par le public « rajawi » et « wydadi » a assuré le spectacle. Une forme de fusion totale des individus dans l’identité collective du groupe ultra, que nous pouvons expliquer par cette forte solidarité, se traduisant par une vive sympathie et une identification mutuelle fondée sur la fusion des individus dans le tout commun. Une rivalité plus exacerbée tendant vers son paroxysme. Le football est un « fait social total » selon la fameuse et heureuse expression de Marcel Mauss. Dans ce derby, nous commençons par les questions de symbolique, en passant par les problèmes du marocain moyen. Notant au passage que l'ensemble des supporters qui forme le public du stade Mohammed V à Casablanca s'apparente à un recrutement social très diversifié, alors qu'il est trop souvent présenté comme une rencontre anarchique et populaire de jeunes issus des quartiers défavorisés, les «militants» ultras sont vus comme des jeunes en difficulté, sans emploi, découragés... Ce descriptif, bien trop rapide et superficiel, ne peut cacher la réalité. Même si la tendance générale révèle plutôt une prédominance de jeunes issus des milieux populaires, les supporters Casablancais sont de toutes catégories sociales : classe défavorisée, moyenne et supérieure. Il faut le dire : le stade se présente comme une mosaïque où tous les Casablancais se rencontrent pour s’exprimer, se donner en spectacle, chercher à être identifier et à être reconnu ; et parfois même s’indigner et contester des situations et des faits sociales. Le football n’est donc pas seulement un sport, c’est un point de vue sur la vie. 

Abderrahim Bourkia
http://marocainspartout.com/


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