mardi 31 mai 2016

Invitation à la violence ou banalisation médiatique…


Les actes de violence paraissent de plus en plus prégnants dans le quotidien des Marocains. L’insécurité est à la mode, l’opinion publique et certains médias l’accentuent.

Proposer une réflexion sur les récents actes de violence est certes une exigence. Mais la violence est un concept gigantesque qui force l’emploi d’une mixité pluridisciplinaire et il faut croiser l’approche du sociologue, du psychologue, du juriste, du sécuritaire, du philosophe, de l’historien, de l’économiste et bien évidement du politique afin de proposer une lecture des faits observables.
Il y a d’une part une multiplicité de formes de violences d’où la difficulté d’en mesurer l’ampleur faute de ressentis : la violence est différemment perçue selon les milieux sociaux et les univers culturels.
Qu’elle soit sociale, économique ou politique, la violence au Maroc est au cœur des récits de la vie de tous les jours. Et l’avènement d’Internet et de son lot de réseaux sociaux n’a fait que donner davantage de visibilité aux actes de violence. Au point que l’on se demande s’il s’agit vraiment d’une montée réelle de la violence aujourd’hui ou si c’est seulement le fait que notre société soit connectée aux réseaux sociaux qui la rend visible ?
Les grilles d’analyse sont articulées autour de trois points de vue la violence moins contrôlée par les acteurs politiques et davantage médiatisée.

-          La médiatisation des actes d’agression
-          Les interprétations de corrélation entre la visualisation et les stimuli réponse de celui qui regarde.
-          Types de réactions vis-à-vis de la violence observée

Nous ne savons pas si ces actes ont été réellement amplifiés par les réseaux. Il faut des statistiques fiables pour donner une réponse plausible. Par contre, nous pouvons avancer que l’avènement et la multiplication des outils de communication comme internet et son lot de réseaux de partage a favorisé une forte visibilité des actes de violence. Et quoi qu’il en soit, les images de la violence contribuent à la voir comme plus fréquente, voire même normale et acceptable. Les internautes diffuseurs d’images deviennent eux-mêmes par défaut des journalistes de fantasme et des porte-parole des journaux de sensationnalisme qui satisfont les attentes des spectateurs en quête d’émotions fortes. Nous vivons dans une société surmédiatisée. Et les événements violents trouvent une place de choix sur nos écrans car les actes d’agression ont toutes les caractéristiques de la spectacularisation et répondent aux exigences du spectacle : potentiel émotionnel, esthétisme, choc d’images et sensationnalisme.
Le fait de filmer des actes de violence et de les diffuser sur les réseaux pourrait– mais pas obligatoirement - être une motivation de plus pour des néo-agresseurs, pour passer à l'acte et accentuer davantage l’insécurité et de fait le sentiment d’insécurité perçu par les Marocains.
On dit toujours que la violence attire la violence. Dans notre cas, les images de la violence produisent elle-même de la violence. Certains travaux expérimentaux établissent une corrélation entre observation de la violence et agression. Les théories de la  « désinhibition » donnent une lecture au phénomène de filmer et d’immortaliser les actes de violence et d’agression. L’idée soutient que la violence rendue visible est très présente dans l’espace public par sa « surmédiatisation » ; elle devient naturelle et constitue un nouveau mode d’expression. En se désinhibant, on est plus à même de « pratiquer la violence ». Il y a une autre idée développée par le psychosociologue canadien Albert Bandura qui va dans ce sens, celle de l’apprentissage social selon laquelle la médiatisation des actes d’agression encourage et sa pratique et son apprentissage.
C’est tout-à-fait le même « modus operandi » que les terroristes qui filment des scènes de décapitation. Des spectacles morbides qui offrent des pensées agressives et des stimuli négatifs à celui qui les reçoit.
Nous avons déjà parlé d’une hypersensibilité à la violence et des attitudes ambigües vis-à-vis d’elle. Nous assistons désormais à un changement dans les représentations de la violence et bien évidement à une modification de sa perception. Concernant la question qui porte sur les effets de sa médiatisation sur la population, quatre ou cinq types de réactions sont à énumérer. Tout d’abord, le sentiment généralisé d’insécurité qui prend de l’ampleur au fur et à mesure de la visualisation des images d’agression. Il y a également une certaine concurrence et rivalité entre acteurs violents en bande ou en groupe poursuivant les mêmes objectifs, où chacun cherche à se montrer plus violent que les autres. Là, il faut faire très attention et ne pas confondre la violence réelle et celle fantasmée – le cas du charmil, je reviens sur ça une autre fois)-. Ensuite, nous avons la constitution de « communauté émotionnelle », selon le concept de Max Weber, dans le sens où la population s’unie dans l’indignation des actes et sympathise avec les victimes et demande justice. Une autre grille d’explication porte sur l’idée de la catharsis selon laquelle l’exposition au spectacle de la violence peut favoriser la libération de ses propres pulsions agressives et réduire le comportement violent du spectateur. Nous pouvons également inclure les deux lectures évoquées plus haut : celle de la désinhibition et de l’apprentissage social pour boucler, à mon avis, la liste des réactions produites chez le public.

samedi 30 mai 2015


L'art du "buzz"… ou le "buzz" sans l'art !



La censure a toujours tort. C’est en substance le postulat de départ auquel j’adhère et que je partage partout où l’occasion m’est présentée. J’ai suivi comme tout le monde le bouillonnement exceptionnel sur la diffusion des extraits du film «Much Loved». J’ai remarqué que chacun y va de son couplet préféré, ce qui montre bien que l’objectif de celui (ou ceux) qui a «divulgué» l’extrait a été atteint. S’agit-il ici d’une attitude délibérée provenant de ceux qui aiment tâter les conformités sociales et sonder leurs compatriotes ? Ou encore une autre manière d’examiner de près les rapports de force qui jalonnent la configuration sociale du pays ?
L’existence de réactivations de valeurs et de comportement traditionnel lorsque le contact culturel est vécu comme agression ou danger, ou tout simplement encore lorsqu’il n’est pas bien maîtrisé - et c’est le cas dans ici peut être - ouvre la voie à une culture de buzz et d’alertes qui gagne du terrain. Nous ne sommes plus dans un débat de fond, dans des échanges lucides et responsables ; nous sommes loin de la véritable immersion pour une compréhension des maux qui rongent notre société, loin du militantisme-civil, social et politique - vide de sens.  Je trouve toujours à la fois drôle et louche que l’on «poste» une vidéo ou une information sous un titre quelconque avec la mention «top secret», «exclusive» ou encore «urgent». Tout ça pour créer le buzz et alimenter les discussions.  Et puis il y a ces internautes qui y «cliquent» par curiosité.  Je considère que la réussite des propagandistes à l’origine de ce buzz, ses «créateurs» et les médias qui l’ont relayé, dépend de l’ignorance relative de ceux auxquels ils s’adressent.
Nabil Ayouch est un réalisateur intelligent. Mais personnellement à son actif, je ne retiens que deux films de qualité «Ali Zaoua» et «Les Chevaux de dieu». J'encenserai également son premier coup d’essai genre roman noir dans «Mektoub».
N'oublions pas qu'avant tout «Much Love», est une fiction, une création qui est, selon les propos de son réalisateur, inspirée d’une réalité sociale. Une réalité que les artistes, les écrivains, les musiciens et les chercheurs ont déjà abordé depuis une éternité. On parle ici du plus vieux métier du monde. Cependant, il est important de s’accorder à reconnaître que la perception artistique se situe à un niveau supérieur à celui de la perception ordinaire. Et cela est un autre débat que j’aurai aimé entamer après la sortie du film ; dont les spécialistes vont prendre le temps d’épingler la valeur artistique -qui demeure en soi un point de vue personnel, une perception parmi d’autres. Mais je trouve dommage que celui ou ceux qui ont choisi de faire les choses de cette manière «le buzz» (cela ne dédouane pas la censure bien sûr) aient joué sur les stimuli émotionnels et conditionné le spectateur au point de faire confondre réactions et perceptions.
L’art sans la manière, je suppose, est l’illustration dans ce cas. Nabil Ayouch a-t-il vraiment manqué de tact sur ce coup ? Où est-ce que l’objectif tracé a été atteint avec cette mesure-démesure ?
Le succès d’une œuvre cinématographique n’est-il pas lié au fait d’être vue, appréciée ou dénigrée et discutée et non pas de créer le «buzz» et de creuser le fossé bien visible entre les composantes de la société.  Et de montrer au grand jour nos disparités, notre diversité et notre soif de nous exprimer et de partager nos craintes et nos points de vue.  
Je me souviens de la sortie du film de Abdelkader laqtaâ « Houb fi dar albaida’a» (Amour à Casablanca). Et de la distribution des «flyers» devant les collèges et les lycées. En rentrant dans les établissements scolaires on ne parlait que de ça. Un mélange de curiosité et d’envie de voir le film s’était emparé de nous. « C’est marocain en plus », disions-nous, plutôt habitués à aller voir des films venant d’ailleurs (à cette époque les responsables des salles étaient peu regardant à notre âge). Cela avait amené les mêmes discussions entre approbateurs et réprobateurs. La société marocaine est toujours la même pour ceux qui veulent s’y intéresser. Certes, il y a des mutations. Mais nous devons évoluer avec ces mutations – et nous le faisons déjà. Et surtout comprendre ce qui nous entoure, l’accepter, sans trop vite juger, ou exclure. Chaque artiste, chaque œuvre a droit de cité. Il est de notre devoir de laisser éclore toute œuvre artistique. Chaque œuvre est révélatrice d’une partie de notre société, elle nous donne des clés pour mieux la comprendre.  Plus encore, chaque œuvre n’est que le reflet de l’artiste, sa propre perception, peut-être une partie de son expérience. Un proverbe arabe me vient à l’esprit dont voici la traduction : «chaque assiette a l’odeur de ce qu’elle contient». C’est à mon avis le cas dans ce «film-buzz» qui ne représente ni les marocaines ni le Maroc dans sa globalité. Ce n’est qu’un point de vue parmi d’autres. Le mien est le suivant : existe-t-il une ligne médiane dans la production artistique entre l’interdit et le toléré ?

Abderrahim Bourkia
http://marocainspartout.com/


lundi 18 mai 2015

Clint Eastwood et les "Ultras Fanatics" de Salé...


Le sniper qui a tué le plus d’Arabes n’est pas américain. Il est anglais. Voilà une information qu’on a l’obligation d’entendre ou de lire quelque part dans les médias aujourd’hui. Les défenseurs du droit à l’information vont peut être s’insurger contre moi si je qualifie cette information d’incongrue, de bête ou de stupide. A l’image des informations qui nous traquent au quotidien. Revenons à nos moutons. Oui il s’agit désormais de moutons. Je vais vous dire une chose, je n’ai pas choisi hâtivement d’introduire mes propos de cette manière. Car le sujet dont je vaudrais parler est l’histoire d’un sniper américain. L’histoire d’un marine, selon la fiction créée par le réalisateur Clint Eastwood (ancien cow-boy) «American Sniper», basée sur la vie de Chris Kyle, qui s’est  emporté lorsqu’il a vu les tours jumelles s’écrouler à la télévision et a juré de venger la vie des américains et de tuer les criminels.
Pour Clint Eastwood, les Iraquiens, tels qu’il les a présentés dans son film, sont tous des terroristes qu’ils soient femmes, enfants et hommes bien sûr ; sinon des collaborateurs qui courent derrière l’argent. Et oui, c’est malheureusement l’image que le film véhicule.
Hélas, Clint Eastwood parle des méchants qui s’attaquent aux Américains. Et puis du rôle de leur protection envers l’armée. La fameuse histoire du loup, de l’agneau et du chien berger (protecteur) trouve encore vie dans ce genre de fiction. La propagande américaine, elle aussi, s’est ossifiée, «nous» contre les «autres» méchants qui envient notre démocratie. Le bien contre le mal. Le même dixit du petit George W.Bush. Aussi simpliste que ridicule, cette triste image est ancrée dans les cerveaux d’un nombre considérable d’Américains et de nombreux citoyens de par le monde.  Malheureusement.
Clint Eastwood voulait aborder, peut être, la détresse psychologique de ces compatriotes retournés au bercail après avoir mené une guerre qui n’est pas la leur. Celle de leur entourage aussi. En revanche, il n’a pas pu déjouer les travers du terrain miné. Et puis il a fini par  tomber dans les clichés. J’aimerai bien poser cette question à monsieur Eastwood : le fait que le héros national se fasse descendre par un vétéran de la même guerre ne laisse-t-il pas dire qu’il y a quelque chose de malsain dans la motivation de ces gens-là ? La gloire et la célébrité auxquelles son assassin avait songé avant de commettre son acte déplorable y sont-elles pour quelque chose ?
J’attends avec grande impatience la suite où Clint Eastwood nous parlera du parcours de l’autre sniper jordanien, abattu par Chris Kyle et qui, contrairement à l’américain, court derrière l’argent. Voilà donc quelques questions qui peuvent éclairer le réalisateur et l’inspirer pour la suite : comment devient-on acteur dans une guerre qui n’est pas la notre ? Quelle est la motivation de ceux qui se trouvent de leur plein gré dans un pays dévasté  par la guerre ? Quel est le mérite de cette armée qui prétend amener la démocratie à un peuple qui ne la réclame même pas ?
Et que dire de la première scène de la femme tuée par une roquette qu’elle vient de confier à son fils, abattu dans un premier temps, devant la voiture blindée des marines ? Pourquoi a-t-elle donné la mort à son fils de cette façon-là ? La scène simpliste présentée par le réalisateur m’évoque les jeux vidéo mais bref ce n’est pas le lieu d’en parler. Autant de pistes à explorer pour le prochain épisode si le réalisateur cherche vraiment à montrer le visage d’une guerre où le peuple iraquien est pris en otage depuis 2003, sans parler de l’embargo,  de « la tempête du désert » et la guerre Irano-iraquienne.

Le coût en vies humaines du côté occidental est assumé froidement dans le film. Quant au prix payé par le camp adverse, qui est d’ailleurs plus catastrophique il n’est même pas dénoncé. Le consensus est tellement bétonné qu’on ne peut pas le transpercer que ce soit du coté des gouvernements ou de celui des médias. Et pour en finir, je ne vais pas parler de la qualité artistique du film, ni de la prestation des acteurs. Je laisse cette rude tâche aux spécialistes. J’ai toutefois remarqué que dans la scène où le sniper se demande s’il doit tirer ou pas sur l’enfant, on peut lire sur le mur « UF 09 » et sur un autre mur, au-dessus du cadavre d’un iraquien «Ultra Fanatics». Je ne pense pas que les spectateurs l’aient remarqué. Car Fanatics s’adapte bien à la situation d’un côté comme de l’autre à mon avis. Et si vous me demandez ce que cela veut dire : et bien, tout simplement, c’est que quasiment toutes les scènes ont été tournées au Maroc, à Salé plus précisément. Et le groupe de supporters de football Ultras de la ville se nomme les «Ultras Fanatics». Je ne sais pas s’il s’agit d’un choix délibéré du réalisateur ou  de son ignorance ?

Abderrahim Bourkia
Sur le derby au sens large...

A quoi rime l’engouement de nos contemporains marocains et casablancais, en particulier, au derby  du Raja et du Wydad ?  C’est la question que je me pose souvent après chaque rencontre des deux géants casablancais.  Le produit footballistique n’est pas toujours au rendez-vous ; et ne répond guère à l’image d’un championnat professionnel clamé haut et fort par les responsables fédératifs et les gestionnaires du football national. Les clubs ont presque le même niveau qui demeure très moyen dans sa globalité. Seuls les ultras accoutumés à nous rapporter des pratiques festives donnent une image esthétique de ce que c’est qu’être supporter. Ils volent la vedette aux joueurs eux-mêmes. Les supporters se donnent à fond dans le spectacle. Ils suent sang et sueur pour se poser en s’opposant à leurs antagonistes du jour. Quelques semaines avant la rencontre tant attendue du derby, les supporters investissent leur temps et leur argent pour réussir les chorégraphies et les animations visuelles.  Qu’il pleuve ou qu’il vente, ils sont là brandissant le mauvais temps et les mauvaises prestations de leurs équipes. Cela laisse dire que le match en lui-même n’est pas très important. Les résultats importent moins. Le spectacle sportif  offre aux supporters l’opportunité de s’exprimer.

 Et de sortir de l’anonymat et d’être quelqu’un. Ils ont cette soif et cette rage de paraître, précise Alain Ehrenberg. Ils déplacent le pôle de visibilité de la pelouse vers les tribunes. Ils font leur propre spectacle. Nous sommes loin d’imaginer à quel point représente pour eux un match de foot. En un raccourci de 120 minutes toute la gamme des émotions, que l’on peut ressentir dans le temps long et distendu d'une vie, se défile : la joie, la souffrance, la haine, l’angoisse, l’admiration, le sentiment d’injustice. Ce qui est le marquant. C'est le passage d'un ressenti à un autre selon le déroulement de la partie. Ce dernier derby en est la parfaite illustration. Sur la pelouse le jeu mitigé n’a pas altéré l’ambiance des gradins. Pour la simple raison, le miroir affectif opposé d’autrui porté par le public « rajawi » et « wydadi » a assuré le spectacle. Une forme de fusion totale des individus dans l’identité collective du groupe ultra, que nous pouvons expliquer par cette forte solidarité, se traduisant par une vive sympathie et une identification mutuelle fondée sur la fusion des individus dans le tout commun. Une rivalité plus exacerbée tendant vers son paroxysme. Le football est un « fait social total » selon la fameuse et heureuse expression de Marcel Mauss. Dans ce derby, nous commençons par les questions de symbolique, en passant par les problèmes du marocain moyen. Notant au passage que l'ensemble des supporters qui forme le public du stade Mohammed V à Casablanca s'apparente à un recrutement social très diversifié, alors qu'il est trop souvent présenté comme une rencontre anarchique et populaire de jeunes issus des quartiers défavorisés, les «militants» ultras sont vus comme des jeunes en difficulté, sans emploi, découragés... Ce descriptif, bien trop rapide et superficiel, ne peut cacher la réalité. Même si la tendance générale révèle plutôt une prédominance de jeunes issus des milieux populaires, les supporters Casablancais sont de toutes catégories sociales : classe défavorisée, moyenne et supérieure. Il faut le dire : le stade se présente comme une mosaïque où tous les Casablancais se rencontrent pour s’exprimer, se donner en spectacle, chercher à être identifier et à être reconnu ; et parfois même s’indigner et contester des situations et des faits sociales. Le football n’est donc pas seulement un sport, c’est un point de vue sur la vie. 

Abderrahim Bourkia
http://marocainspartout.com/