Les actes de violence paraissent de plus en plus prégnants dans le quotidien des Marocains. L’insécurité est à la mode, l’opinion publique et certains médias l’accentuent.
Proposer une réflexion sur les récents
actes de violence est certes une exigence. Mais la violence est un concept
gigantesque qui force l’emploi d’une mixité pluridisciplinaire et il faut croiser
l’approche du sociologue, du psychologue, du juriste, du sécuritaire, du
philosophe, de l’historien, de l’économiste et bien évidement du politique afin
de proposer une lecture des faits observables.
Il y a d’une part une multiplicité de
formes de violences d’où la difficulté d’en mesurer l’ampleur faute de ressentis :
la violence est différemment perçue selon les milieux sociaux et les univers
culturels.
Qu’elle soit sociale, économique ou
politique, la violence au Maroc est au cœur des récits de la vie de tous les
jours. Et l’avènement d’Internet et de son lot de réseaux sociaux n’a fait que
donner davantage de visibilité aux actes de violence. Au point que l’on se demande
s’il s’agit vraiment d’une montée réelle de la violence aujourd’hui ou si c’est seulement le fait que notre société soit connectée
aux réseaux sociaux qui la rend visible ?
Les grilles d’analyse sont articulées autour de trois points de vue la
violence moins contrôlée par les acteurs politiques et davantage médiatisée.
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La médiatisation des actes
d’agression
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Les interprétations de corrélation
entre la visualisation et les stimuli réponse de celui qui regarde.
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Types de réactions vis-à-vis de la
violence observée
Nous ne savons pas si ces actes ont été réellement amplifiés par les
réseaux. Il faut des statistiques fiables pour donner une réponse plausible.
Par contre, nous pouvons avancer que l’avènement et la multiplication des
outils de communication comme internet et son lot de réseaux de partage a
favorisé une forte visibilité des actes de violence. Et quoi qu’il en soit, les
images de la violence contribuent à la voir comme plus fréquente, voire même
normale et acceptable. Les internautes diffuseurs d’images deviennent eux-mêmes
par défaut des journalistes de fantasme et des porte-parole des journaux de
sensationnalisme qui satisfont les attentes des spectateurs en quête d’émotions
fortes. Nous vivons dans une société surmédiatisée. Et les événements violents
trouvent une place de choix sur nos écrans car les actes d’agression ont toutes
les caractéristiques de la spectacularisation et répondent aux exigences du
spectacle : potentiel émotionnel, esthétisme, choc d’images et
sensationnalisme.
Le fait de filmer des actes de violence et de les diffuser sur les
réseaux pourrait– mais pas obligatoirement - être une motivation de plus pour
des néo-agresseurs, pour passer à l'acte et accentuer davantage l’insécurité et
de fait le sentiment d’insécurité perçu par les Marocains.
On dit toujours que la violence attire la violence. Dans notre cas, les
images de la violence produisent elle-même de la violence. Certains travaux
expérimentaux établissent une corrélation entre observation de la violence et
agression. Les théories de la « désinhibition » donnent une lecture au phénomène de filmer et
d’immortaliser les actes de violence et d’agression. L’idée soutient que la
violence rendue visible est très présente dans l’espace public par sa
« surmédiatisation » ; elle devient naturelle et constitue un
nouveau mode d’expression. En se désinhibant, on est plus à même de « pratiquer
la violence ». Il y a une autre idée développée par le psychosociologue
canadien Albert Bandura qui va dans ce sens, celle de l’apprentissage social
selon laquelle la médiatisation des actes d’agression encourage et sa pratique
et son apprentissage.
C’est tout-à-fait le même « modus operandi » que les
terroristes qui filment des scènes de décapitation. Des spectacles morbides qui
offrent des pensées agressives et des stimuli négatifs à celui qui les reçoit.
Nous avons déjà parlé d’une hypersensibilité à la violence et des
attitudes ambigües
vis-à-vis d’elle. Nous assistons désormais à un changement dans les
représentations de la violence et bien évidement à une modification de sa
perception. Concernant la question qui porte sur les effets de sa médiatisation
sur la population, quatre ou cinq types de réactions sont à énumérer. Tout
d’abord, le sentiment généralisé d’insécurité qui prend de l’ampleur au fur et
à mesure de la visualisation des images d’agression. Il y a également une
certaine concurrence et rivalité entre acteurs violents en bande ou en groupe
poursuivant les mêmes objectifs, où chacun cherche à se montrer plus violent
que les autres. Là, il faut faire très attention et ne pas confondre la violence
réelle et celle fantasmée – le cas du charmil, je reviens sur ça une autre fois)-.
Ensuite, nous avons la constitution de « communauté émotionnelle »,
selon le concept de Max Weber, dans le sens où la population s’unie dans
l’indignation des actes et sympathise avec les victimes et demande justice. Une
autre grille d’explication porte sur l’idée de la catharsis selon laquelle
l’exposition au spectacle de la violence peut favoriser la libération de ses
propres pulsions agressives et réduire le comportement violent du spectateur.
Nous pouvons également inclure les deux lectures évoquées plus haut : celle
de la désinhibition et de l’apprentissage social pour boucler, à mon avis, la
liste des réactions produites chez le public.