L'art du "buzz"… ou le "buzz" sans l'art !
La
censure a toujours tort. C’est en substance le postulat de départ auquel
j’adhère et que je partage partout où l’occasion m’est présentée. J’ai suivi
comme tout le monde le bouillonnement exceptionnel sur la diffusion des
extraits du film «Much Loved». J’ai remarqué que chacun y va de son couplet
préféré, ce qui montre bien que l’objectif de celui (ou ceux) qui a «divulgué»
l’extrait a été atteint. S’agit-il ici d’une attitude délibérée provenant de
ceux qui aiment tâter les conformités sociales et sonder leurs
compatriotes ? Ou encore une autre manière d’examiner de près les rapports
de force qui jalonnent la configuration sociale du pays ?
L’existence
de réactivations de valeurs et de comportement traditionnel lorsque le contact
culturel est vécu comme agression ou danger, ou tout simplement encore
lorsqu’il n’est pas bien maîtrisé - et c’est le cas dans ici peut être - ouvre
la voie à une culture de buzz et d’alertes qui gagne du terrain. Nous ne sommes
plus dans un débat de fond, dans des échanges lucides et responsables ;
nous sommes loin de la véritable immersion pour une compréhension des maux qui
rongent notre société, loin du militantisme-civil, social et politique - vide
de sens. Je trouve toujours à la fois drôle
et louche que l’on «poste» une vidéo ou une information sous un titre
quelconque avec la mention «top secret», «exclusive» ou encore «urgent». Tout ça
pour créer le buzz et alimenter les discussions. Et puis il y a ces internautes qui y «cliquent»
par curiosité. Je considère que la
réussite des propagandistes à l’origine de ce buzz, ses «créateurs» et les
médias qui l’ont relayé, dépend
de l’ignorance relative de ceux auxquels ils s’adressent.
Nabil
Ayouch est un réalisateur intelligent. Mais personnellement à son actif, je ne retiens que deux films de qualité «Ali Zaoua» et «Les Chevaux de dieu». J'encenserai également son premier coup d’essai genre roman noir dans «Mektoub».
N'oublions pas qu'avant tout «Much Love», est une fiction, une création qui est, selon les propos de son réalisateur, inspirée d’une réalité sociale. Une réalité que les artistes, les écrivains, les
musiciens et les chercheurs ont déjà abordé depuis une éternité. On parle ici du plus vieux métier du monde. Cependant, il est important de s’accorder à reconnaître
que la perception artistique se situe à un niveau supérieur à celui de la
perception ordinaire. Et cela est un autre débat que j’aurai aimé entamer après
la sortie du film ; dont les spécialistes vont prendre le temps d’épingler
la valeur artistique -qui demeure en soi un point de vue personnel, une
perception parmi d’autres. Mais je trouve dommage que celui ou ceux qui ont
choisi de faire les choses de cette manière «le buzz» (cela ne dédouane pas la
censure bien sûr) aient joué sur les stimuli émotionnels et conditionné le
spectateur au point de faire confondre réactions et perceptions.
L’art
sans la manière, je suppose, est l’illustration dans ce cas. Nabil Ayouch a-t-il
vraiment manqué de tact sur ce coup ? Où est-ce que l’objectif tracé a été
atteint avec cette mesure-démesure ?
Le
succès d’une œuvre cinématographique n’est-il pas lié au fait d’être vue,
appréciée ou dénigrée et discutée et non pas de créer le «buzz» et de creuser
le fossé bien visible entre les composantes de la société. Et de montrer au grand jour nos disparités,
notre diversité et notre soif de nous exprimer et de partager nos craintes et
nos points de vue.
Je
me souviens de la sortie du film de Abdelkader laqtaâ « Houb fi dar
albaida’a» (Amour à Casablanca). Et de la distribution des «flyers» devant
les collèges et les lycées. En rentrant dans les établissements scolaires on ne
parlait que de ça. Un mélange de curiosité et d’envie de voir le film s’était
emparé de nous. « C’est marocain en plus », disions-nous, plutôt
habitués à aller voir des films venant d’ailleurs (à cette époque les
responsables des salles étaient peu regardant à notre âge). Cela avait amené
les mêmes discussions entre approbateurs et réprobateurs. La société marocaine
est toujours la même pour ceux qui veulent s’y intéresser. Certes, il y a des
mutations. Mais nous devons évoluer avec ces
mutations – et nous le faisons déjà. Et surtout comprendre ce qui nous entoure,
l’accepter, sans trop vite juger, ou exclure. Chaque artiste, chaque œuvre a
droit de cité. Il est de notre devoir de laisser éclore toute œuvre artistique.
Chaque œuvre est révélatrice d’une partie de notre société, elle nous donne des
clés pour mieux la comprendre. Plus encore, chaque
œuvre n’est que le reflet de l’artiste, sa propre perception, peut-être une
partie de son expérience. Un proverbe arabe me vient à l’esprit dont voici la
traduction : «chaque assiette a l’odeur de ce qu’elle contient». C’est à
mon avis le cas dans ce «film-buzz» qui ne représente ni les marocaines ni le
Maroc dans sa globalité. Ce n’est qu’un point de vue parmi d’autres. Le mien
est le suivant : existe-t-il une ligne médiane dans la production
artistique entre l’interdit et le toléré ?
Abderrahim Bourkia
http://marocainspartout.com/
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