samedi 30 mai 2015


L'art du "buzz"… ou le "buzz" sans l'art !



La censure a toujours tort. C’est en substance le postulat de départ auquel j’adhère et que je partage partout où l’occasion m’est présentée. J’ai suivi comme tout le monde le bouillonnement exceptionnel sur la diffusion des extraits du film «Much Loved». J’ai remarqué que chacun y va de son couplet préféré, ce qui montre bien que l’objectif de celui (ou ceux) qui a «divulgué» l’extrait a été atteint. S’agit-il ici d’une attitude délibérée provenant de ceux qui aiment tâter les conformités sociales et sonder leurs compatriotes ? Ou encore une autre manière d’examiner de près les rapports de force qui jalonnent la configuration sociale du pays ?
L’existence de réactivations de valeurs et de comportement traditionnel lorsque le contact culturel est vécu comme agression ou danger, ou tout simplement encore lorsqu’il n’est pas bien maîtrisé - et c’est le cas dans ici peut être - ouvre la voie à une culture de buzz et d’alertes qui gagne du terrain. Nous ne sommes plus dans un débat de fond, dans des échanges lucides et responsables ; nous sommes loin de la véritable immersion pour une compréhension des maux qui rongent notre société, loin du militantisme-civil, social et politique - vide de sens.  Je trouve toujours à la fois drôle et louche que l’on «poste» une vidéo ou une information sous un titre quelconque avec la mention «top secret», «exclusive» ou encore «urgent». Tout ça pour créer le buzz et alimenter les discussions.  Et puis il y a ces internautes qui y «cliquent» par curiosité.  Je considère que la réussite des propagandistes à l’origine de ce buzz, ses «créateurs» et les médias qui l’ont relayé, dépend de l’ignorance relative de ceux auxquels ils s’adressent.
Nabil Ayouch est un réalisateur intelligent. Mais personnellement à son actif, je ne retiens que deux films de qualité «Ali Zaoua» et «Les Chevaux de dieu». J'encenserai également son premier coup d’essai genre roman noir dans «Mektoub».
N'oublions pas qu'avant tout «Much Love», est une fiction, une création qui est, selon les propos de son réalisateur, inspirée d’une réalité sociale. Une réalité que les artistes, les écrivains, les musiciens et les chercheurs ont déjà abordé depuis une éternité. On parle ici du plus vieux métier du monde. Cependant, il est important de s’accorder à reconnaître que la perception artistique se situe à un niveau supérieur à celui de la perception ordinaire. Et cela est un autre débat que j’aurai aimé entamer après la sortie du film ; dont les spécialistes vont prendre le temps d’épingler la valeur artistique -qui demeure en soi un point de vue personnel, une perception parmi d’autres. Mais je trouve dommage que celui ou ceux qui ont choisi de faire les choses de cette manière «le buzz» (cela ne dédouane pas la censure bien sûr) aient joué sur les stimuli émotionnels et conditionné le spectateur au point de faire confondre réactions et perceptions.
L’art sans la manière, je suppose, est l’illustration dans ce cas. Nabil Ayouch a-t-il vraiment manqué de tact sur ce coup ? Où est-ce que l’objectif tracé a été atteint avec cette mesure-démesure ?
Le succès d’une œuvre cinématographique n’est-il pas lié au fait d’être vue, appréciée ou dénigrée et discutée et non pas de créer le «buzz» et de creuser le fossé bien visible entre les composantes de la société.  Et de montrer au grand jour nos disparités, notre diversité et notre soif de nous exprimer et de partager nos craintes et nos points de vue.  
Je me souviens de la sortie du film de Abdelkader laqtaâ « Houb fi dar albaida’a» (Amour à Casablanca). Et de la distribution des «flyers» devant les collèges et les lycées. En rentrant dans les établissements scolaires on ne parlait que de ça. Un mélange de curiosité et d’envie de voir le film s’était emparé de nous. « C’est marocain en plus », disions-nous, plutôt habitués à aller voir des films venant d’ailleurs (à cette époque les responsables des salles étaient peu regardant à notre âge). Cela avait amené les mêmes discussions entre approbateurs et réprobateurs. La société marocaine est toujours la même pour ceux qui veulent s’y intéresser. Certes, il y a des mutations. Mais nous devons évoluer avec ces mutations – et nous le faisons déjà. Et surtout comprendre ce qui nous entoure, l’accepter, sans trop vite juger, ou exclure. Chaque artiste, chaque œuvre a droit de cité. Il est de notre devoir de laisser éclore toute œuvre artistique. Chaque œuvre est révélatrice d’une partie de notre société, elle nous donne des clés pour mieux la comprendre.  Plus encore, chaque œuvre n’est que le reflet de l’artiste, sa propre perception, peut-être une partie de son expérience. Un proverbe arabe me vient à l’esprit dont voici la traduction : «chaque assiette a l’odeur de ce qu’elle contient». C’est à mon avis le cas dans ce «film-buzz» qui ne représente ni les marocaines ni le Maroc dans sa globalité. Ce n’est qu’un point de vue parmi d’autres. Le mien est le suivant : existe-t-il une ligne médiane dans la production artistique entre l’interdit et le toléré ?

Abderrahim Bourkia
http://marocainspartout.com/


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